Mandat de protection future : un pas timide vers l'avant
Le mandat de protection future, dispositif permettant à toute personne d'organiser en amont la gestion de ses intérêts en cas de perte d'autonomie, reste étonnamment peu mobilisé en France.
Introduit par la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007, cet outil vise pourtant à offrir une sécurité juridique aux personnes anticipant une incapacité future, en désignant par avance un mandataire chargé de veiller sur leurs intérêts personnels et patrimoniaux.
Malgré son importance indéniable dans une société confrontée au vieillissement accéléré de sa population, les statistiques révèlent un manque significatif d'utilisation de ce dispositif par les Français. En 2022, seulement 1 495 mandats ont été activés, dont une très large majorité (92 %) sous la forme notariée. À titre de comparaison, la Belgique enregistre chaque année plus de 60 000 mandats similaires, tandis qu'au Québec, près de la moitié des adultes anticipent déjà leur future protection juridique par le biais d’un tel dispositif.
Cette faible utilisation en France peut s'expliquer par plusieurs facteurs clés. En premier lieu, une méconnaissance évidente du dispositif persiste au sein du grand public. Nombreux sont encore ceux qui ignorent même l’existence ou les modalités concrètes du mandat de protection future. En outre, une promotion insuffisante par les pouvoirs publics et une communication timide des professionnels du droit contribuent à ce déficit d’information.
Autre frein significatif, le cadre juridique longtemps incertain et peu incitatif a limité l'intérêt pratique du mandat de protection future. Jusqu'à récemment, l’absence d’un registre spécial clairement organisé et accessible rendait l’application et le suivi des mandats difficilement vérifiables, notamment en cas de litige familial ou de contestation sur la réalité du mandat activé. Cette lacune organisationnelle a pu décourager bon nombre de personnes à franchir le pas, craignant que leurs volontés ne soient pas effectivement respectées.
Heureusement, une évolution majeure vient d'intervenir fin 2024 avec la création par décret d'un registre spécial dédié au mandat de protection future, une mesure très attendue depuis plusieurs années. Ce registre spécial, établi par le décret n°2024-1032 du 16 novembre 2024, permet désormais aux magistrats et aux parties concernées par le mandat de vérifier son existence et ses modalités d’application, offrant ainsi une meilleure traçabilité juridique.
Cependant, ce progrès notable est accompagné de limites importantes qui freinent encore une adoption massive du dispositif. En effet, ce registre spécial n’est pas accessible aux notaires et avocats, acteurs pourtant essentiels dans l'accompagnement des familles. De plus, il n'existe actuellement aucune sanction en cas de retard ou d’absence d’inscription du mandat dans ce registre spécial, ce qui limite encore l'effectivité et la portée de cette avancée.
La loi « portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir en France », votée au printemps 2024, annonce la création d’un registre général, d'ici décembre 2026, dédié à l’ensemble des mesures de protection juridique, y compris le mandat de protection future. Ce registre général viendra compléter, sans remplacer, le registre spécial actuel, conformément aux décisions du Conseil d’État. Cependant, les professionnels du droit, avocats et notaires, restent exclus de l’accès direct à ce registre spécial, ce qui pourrait continuer à freiner son efficacité pratique.
Ainsi, si cette évolution législative et réglementaire constitue indéniablement un progrès important vers une meilleure anticipation juridique de l’incapacité, beaucoup reste à faire pour démocratiser le mandat de protection future. Une sensibilisation accrue du grand public, une clarification des procédures, et un accès facilité aux informations pour l’ensemble des acteurs juridiques et notariaux apparaissent nécessaires pour permettre à ce dispositif, pourtant prometteur, de remplir pleinement son rôle dans la société française.